dimanche 9 octobre 2022

Le rôle du travail, le karma yoga


Inclure la conscience extérieure dans la transformation est d’une importance capitale dans notre yoga ; la méditation ne peut pas le faire. La méditation ne peut agir que sur l’être intérieur. Le travail est donc d’une importance primordiale, mais il doit être accompli dans l’attitude juste et dans la conscience juste. Il est alors aussi fructueux que n’importe quelle méditation.

L’une des grandes utilités du travail est de mettre la nature à l’épreuve et de placer le sâdhak face à ses imperfections de son être extérieur qui autrement auraient pu lui échapper.

Garder un travail aide à conserver l’équilibre entre l’expérience intérieure et le développement extérieur. Sinon, on risque de trop pencher d’un coté, de manquer de mesure et de pondération. De plus, il est nécessaire de poursuivre la sâdhanâ du travail pour le divin, parce que finalement elle permet au sâdhâk de faire passer dans la nature et dans la vie extérieures le progrès réalisé intérieurement et elle contribue à l’intégralité de la sâdhanâ.

Il peut être nécessaire pour un individu de se plonger dans la méditation pendant un certain temps et par là-même d’interrompre son travail ou de lui donner une importance secondaire ; mais ce ne peut être que dans certains cas individuels et pour une retraite temporaire. Une cessation complète du travail et le retrait total en soi-même sont rarement à conseiller ; ceci peut encourager un état trop excessif et visionnaire où l’on vit dans une sorte de monde intermédiaire d’expériences purement subjectives sans avoir de prise solide sur la réalité extérieure ni sur la Réalité suprême, et sans utiliser correctement l’expérience subjective pour créer un lien solide, puis l’unification, entre la Réalité suprême et la réalisation extérieure dans la vie.

On peut faire n’importe quel travail en le considérant comme un domaine d’application pour pratiquer l’esprit de la Guîtâ.

Par « travail » je ne veux pas dire l’action faite dans l’ego et dans l’ignorance, pour la satisfaction de l’ego sous la poussée du désir radjasique. Il ne peut pas y avoir de karma yoga sans la volonté de se débarrasser de l’ego, du radjas et du désir, qui sont les seaux de l’ignorance. Je ne veux pas parler non plus de philanthropie ni de service à l’humanité ni de tous les autres buts moraux ou idéalistes que le mental humain substitue à la vérité profonde des œuvres.

Par « travail » j’entends l’action faite pour le divin - pour le Divin seul et rien d’autre. Naturellement, ce n’est pas facile au début, pas plus que ne le sont la méditation profonde et la connaissance lumineuse, ni même l’amour et la vraie bhakti. Mais comme le reste, le travail doit être entrepris dans l’esprit et l’attitude véritables, avec la volonté juste en soi, et toutes les autres choses viendront d’elles-mêmes.

En général les individus travaillent et vaquent à leurs affaires sous l’impulsion des mobiles ordinaires de l’être vital : nécessité, désir de la richesse, de la réussite, d’une situation en vue, du pouvoir ou de la renommée, ou encore besoin d’agir et plaisir de manifester ses capacités ; ils réussissent ou échouent selon leurs possibilités, leur puissance de travail et la fortune bonne ou mauvaise qui est la conséquence de leur nature et de leur karma. Quand on entreprend le yoga et que l’on désire consacrer sa vie au Divin, ces mobiles ordinaires de l'être vital ne peuvent plus avoir leur pleine liberté d’action ; ils doivent être remplacés par un autre mobile, principalement psychique et spirituel, qui permettra au sâdhâk de travailler avec autant de force qu’auparavant non plus pour lui-même, mais pour le Divin.

Tout devrait être fait tranquillement du dedans : travailler, parler, lire, écrire, comme faisant partie de la vraie conscience, non dans un mouvement dispersé et agité de la conscience ordinaire.

L’idée de grandeur ou de petitesse est tout à fait étrangère à la vérité spirituelle. Spirituellement rien n’est grand ni petit. Ces conceptions rappellent celles des hommes de lettres qui pensent qu’écrire un poème est un travail élevé et fabriquer des chaussures ou faire la cuisine est un travail petit et bas. Mais tout est égal au regard de l’Esprit et seul importe l’attitude intérieure dans lequel le travail est fait.

Il est exagéré de dire que l’on peut entrer dans le courant de la sâdhanâ que par le travail. On peut y entrer aussi par la méditation et par la bhakti, mais le travail est nécessaire pour entrer dans le fort du courant et de ne pas dériver vers la berge où l’on tournerait en rond.

Dans l’une des deux voies du Yoga par les Œuvres, le Pourousha se sépare de la Prakriti, l’être intérieur silencieux de l’être extérieur actif, de sorte que l’on a deux consciences, ou une conscience double : l’une, en arrière, qui surveille, observe, maîtrise et transforme l’autre, celle qui est active au premier plan. Mais là aussi il faut vivre dans une paix et un silence intérieurs et accomplir les actions comme si elles étaient quelque chose à la surface.

Divers extraits de Lettres sur le Yoga

samedi 8 octobre 2022

L'attitude dans le travail

Rentrer entièrement en soi-même pour avoir des expériences et négliger le travail, la conscience extérieure, c’est être déséquilibré et trop pencher d’un coté de la sâdhanâ - car notre yoga est intégral ; de même se jeter au dehors et vivre uniquement dans l’être extérieur, c’est aussi être déséquilibré, trop pencher également d’un coté de la sâdhanâ. On doit avoir la même conscience dans l’expérience intérieure et dans l’action extérieure. 
 
Poursuivre le travail aide à conserver l’équilibre entre l’expérience intérieure et le développement extérieur ; autrement on risque de manquer de mesure et de pondération. De plus il est nécessaire de poursuivre la sâdhanâ du travail pour le Divin, parce qu’elle permet à la fin au sâdhak de faire passer dans la nature et la vie extérieures le progrès réalisé intérieurement et qu’elle contribue à l’intégralité de la sâdhanâ. La vie ordinaire consiste à travailler pour des fins personnelles et en satisfaction de désirs sous un contrôle mental ou moral, influencé parfois par un idéal mental. Le yoga de la Gîtâ consiste à offrir son travail au Divin, à conquérir le désir, à agir sans ego, et sans convoitise, à vivre avec bhakti pour le Divin, à entrer dans la conscience cosmique, à sentir son unité avec toutes les créatures et à s’unir à Lui. Notre yoga y ajoute la descente de la lumière et de la force supramentale (ce qui est son but ultime) et la transformation de la nature. 
 
S’ouvrir dans le travail signifie la même chose que s’ouvrir dans la conscience. 
 
La même force qui travaille dans votre conscience pendant la méditation et qui dissipe les nuages et la confusion toutes les fois que vous vous ouvrez à elle, peut aussi se charger de votre action ; elle peut vous en faire connaître les défauts, elle peut vous rendre conscient de ce qu’il faut faire et diriger votre esprit et vos mains pour l’accomplir. La consécration de soi ne dépend pas du travail particulier que l’on fait, mais de l’esprit dans lequel est accompli ce travail, de quelque sorte qu’il soit. Tout travail, bien et soigneusement accompli, comme une offrande au Divin, sans désir, ni égoïsme, mais d’un esprit égal, avec une calme tranquillité dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, pour l’amour du divin et non en vue d’un bénéfice, d’une récompense ou d’un résultat personnels, avec la conscience que c’est à la puissance divine qu’appartient tout le travail, est un moyen de consécration de soi par le karma.  
 
Tout dépend de l’état intérieur ; la condition extérieure est utile seulement comme un moyen et une aide pour exprimer ou confirmer l’état intérieur, pour le rendre dynamique et efficace. Si vous faites ou dites quelque chose avec le psychisme prédominant ou avec le contact interne approprié, ce sera efficace ; si vous faites ou dites la même chose sous l’impulsion du mental ou du vital ou dans une ambiance mauvaise ou trouble, cela pourra être tout à fait inefficace. Pour faire la chose vraie de la manière vraie dans tous les cas et à tout moment, il faut être dans la conscience vraie ; on ne saurait y parvenir en suivant une règle mentale fixe, car celle-ci pourrait convenir dans certaines circonstances et ne pas convenir du tout dans d’autres. En effet, on peut poser un principe général s’il est conforme à la vérité, mais son application doit être déterminée par la conscience intérieure qui voit à chaque pas ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Cela est possible, d’une manière croissante, si le psychisme prédomine.
 
Extrait de Le guide du Yoga
 
En illustration, une photo de Mudita, dans le parc du Clos Lucé, Mai 2006

vendredi 7 octobre 2022

L'être psychique

















 
Une parcelle de nous-mêmes vit dans le temps présent, une masse énorme et secrète tâtonne dans l’inconscience obscure

Soulevés hors de l’inconscient et du subliminal
Nous vivons dans la lumière incertaine du mental
Et nous efforçons de connaître et de maîtriser un monde ambigu
Dont le but et le sens sont cachés à notre regard.
Au-dessus de nous demeure un dieu supraconscient
Dissimulé dans le mystère de sa lumière :
Autour de nous s’étend une immensité d’ignorance
Eclairée par l’incertain rayon du mental humain,
Au dessous de nous dort l’inconscient obscur et muet.

Extrait de Savitri

La partie psychique en nous est quelque chose qui vient directement du divin et qui est en contact avec le divin.

Dans son origine, c’est le noyau fécond en possibilités divines qui sert d’appui à cette triple manifestation inférieure du mental, de la vie (vital) et du corps (physique).

Cet élément divin est là dans tous les êtres vivants, mais il se tient caché derrière la conscience ordinaire ; au début, il n’est pas développé et même lorsqu’il l’est, il n’est pas toujours ou pas souvent au premier plan. Il s’exprime au moyen de ses instruments et selon leurs limites, dans la mesure où leur imperfection le lui permet. Il grandit dans la conscience par l’expérience qui mène vers le Divin ; il prend de la force chaque fois qu’il y a en nous un mouvement supérieur et enfin, par l’accumulation de ces mouvements plus profonds et plus élevés, une individualité psychique se forme - celle que nous appelons généralement l’être psychique.

C’est toujours cet être psychique qui, en réalité, bien que souvent d’une façon voilée, pousse l’homme à se tourner vers la vie spirituelle, et qui devient alors sa plus grande aide. Par conséquent, c’est cela, dans le yoga, que nous devons amener en avant.

Extrait de Lettres sur le Yoga, tome 2

Seule une petite part de nous-même prévoit ses pas,
Seule une petite part a sa volonté et marche vers un but.
Un vaste subliminal est la partie sans mesure de l’homme.
Le subconscient est la caverne qui est sa base.

Extrait de Savitri

Même en Europe, on admet très fréquemment aujourd’hui l’existence de « quelque chose » derrière la surface ; mais on se trompe sur la nature de ce quelque chose et on l’appelle « subconscient » ou « subliminal », alors qu’en réalité il est très conscient à sa façon et qu’il n’est pas subliminal, mais seulement derrière le voile.

Selon notre psychologie extérieure, cet être intérieur est relié à la petite personnalité extérieure par certains centres de conscience que nous pouvons percevoir par le yoga. Un peu seulement de l’être intérieur s’échappe par ces centres et passe dans la vie extérieure, mais ce peu est la meilleure part de nous-mêmes ; c’est à lui que nous sommes redevables de notre art, notre poésie, notre philosophie, nos idéaux, nos aspirations religieuses, nos efforts vers la connaissance et la perfection.

Extrait de Lettres sur le Yoga, Tome 5