samedi 9 juillet 2016

Il y a des moments...


Il y a des moments où l’Esprit se meut parmi les hommes, où le souffle du Seigneur se répand sur les eaux de notre être.

Il en est d’autres où il se retire et abandonne les hommes à leurs actes, dans la force ou la faiblesse de leur propre égoïsme.

Les premiers sont des périodes où même un léger effort suffit à produire de grands résultats et à changer la destinée, les autres sont des espaces de temps où un grand labeur n’apporte que de maigres résultats. Il est vrai que ces moments-ci peuvent préparer les premiers ; comme la fumée légère du sacrifice montant vers le ciel, ils peuvent appeler ici-bas la pluie de la munificence divine.

Infortunés, l’homme ou la nation, qui se trouvent endormis lorsque arrive le divin moment ou qui ne sont pas prêts à s’en saisir parce que la lampe n’a pas été entretenue pour l’accueillir, parce que leurs oreilles sont restées sourdes à l’appel.

Mais trois fois malheur à ceux qui sont forts et préparés, et qui cependant gaspillent leur force ou mésusent de ce moment ; pour ceux-là, la destruction est grande et la perte irréparable. Lorsque vient l’Heure de Dieu, purifie ton âme de toute tricherie avec elle-même, de toute hypocrisie et vaine infatuation, afin que tu puisses regarder droit dans ton esprit et entendre ce qui l’appelle. Toute absence de sincérité dans la nature – c’était autrefois ta défense contre l’oeil du Maître et la lumière de l’idéal – devient maintenant un défaut dans ton armure et une invite pour les coups.

Et si tu vaincs pour l’instant, c’est plus grave encore pour toi, car le coup viendra sûrement qui te jettera à terre au milieu même de ton triomphe. Mais si tu es pur, rejette toute crainte.

L’heure est souvent terrible, tel un feu, un tourbillon, une tempête, tel les vendanges foulées sous la colère de Dieu. Mais celui qui peut se tenir debout à cette heure, soutenu par la vérité de son but, celui-là durera ; même s’il tombe, il se relèvera ; même s’il semble passer sur les ailes du vent, il reviendra.

Ne laisse pas non plus la prudence du monde murmurer de trop près à tes oreilles, car c’est l’heure de l’inattendu, de l’incalculable, de l’incommensurable.

Ne juge pas du pouvoir du Souffle à la mesure de tes minuscules instruments, mais aie confiance et avance. Mais garde ton âme le plus que tu peux nette des vociférations de l’ego, même si ce n’est que pour un moment.

Alors une colonne de feu marchera devant toi dans la nuit et la tempête sera ton auxiliaire et ta bannière flottera sur les plus hauts sommets de la grandeur qui était à conquérir.

Sri Aurobindo, 1918

jeudi 3 mars 2016

La conscience silencieuse et immobile



Selon mon expérience, la conscience n'est pas un phénomène dépendant des réactions de la personnalité aux forces de la Nature et réduit à une vision ou à une interprétation de ces réactions.

S'il en était ainsi, lorsque la personnalité devient silencieuse et immobile, et qu'elle ne réagit pas, il n'y aurait pas de conscience puisqu'elle ne verrait plus et n'interpréterait plus.

Cela est en contradiction avec certaines expériences fondamentales du yoga, par exemple celle d'une conscience silencieuse et immobile s'étendant à l'infini, ne dépendant pas de la personnalité mais impersonnelle et universelle, ne voyant pas et n'interprétant pas les contacts mais consciente d'elle-même dans l'immobilité, ne dépendant pas des réactions mais permanente en soi, même lorsque aucune réaction ne se produit.

La personnalité subjective elle-même est seulement une formation de conscience qui est un pouvoir inhérent, non à l'activité de la personnalité temporairement manifestée, mais à l'être, au Moi ou Pourousha.

La conscience est une réalité inhérente à l'existence. Elle est là, même quand elle n'est pas active à la surface, mais silencieuse et immobile ; elle est là, même quand elle est invisible à la surface, quand elle ne réagit pas aux objets extérieurs ou y est insensible, mais qu'elle est retirée et active ou inactive au-dedans ; elle est là, même quand elle nous semble tout à fait absente et que l'être paraît à nos yeux inconscient et inanimé.

La conscience n'est pas seulement le pouvoir de se percevoir soi-même et de percevoir les choses, elle est ou possède aussi une énergie dynamique et créatrice. Elle peut déterminer ses propres réactions ou s'abstenir de réagir ; elle peut non seulement répondre aux forces, mais créer des forces ou en émaner. La conscience est Chit, mais aussi Chit Shakti.

La conscience est habituellement identifiée au mental, mais la conscience mentale n'est que le domaine humain et ne couvre pas plus tous les domaines possibles de conscience que la vision humaine ne couvre toute la gamme des couleurs, ou l'ouïe humaine toute la gamme des sons - car au-dessus et au-dessous, bien des degrés sont pour l'homme invisibles et inaudibles. Il y a de même des domaines de conscience au-dessus et au-dessous du domaine humain, avec lesquels l'homme normal n'a aucun contact et qui lui semblent inconscients : les domaines du supramental, du surmental et du sous-mental.

Les gradations de la conscience sont des états universels qui ne dépendent pas de la vision de la personnalité subjective ; c'est plutôt la vision de la personnalité subjective qui est déterminée par le niveau de conscience dans lequel elle est organisée, selon la nature de son type ou le stade de son évolution.

Extrait de Lettres sur le Yoga, Tome 2

samedi 6 février 2016

Ascension : Le Silence


















Dans le Silence, dans le Silence,
Lève-toi, ô Esprit immortel.
Loin de la Roue qui tourne, brisant le cercle magique,
Monte haut, seul et libre de la mort :
Ne porte plus attention aux rumeurs
Ni aux clameurs dans les ténèbres,
Dépasse la sphère du gris et du petit,
Laissant la plainte et la lutte,
Pour toujours dans le Silence.

Vaste et immobile, sans-forme et merveilleux,
Plus haut que les Cieux, plus étendu que l’univers,
Dans une pure gloire d’être,
Dans une brillante lucidité tranquille,
En communion avec l’illimité sans-voix et l’intime,
Place ta connaissance trop haut pour la pensée
Et ta joie trop profond pour l’émotion.

Au repos dans la Lumière immuable,
Muet sur l’inexprimable vision de soi,
Esprit, passe à travers toi-même,
Ame, échappe-toi des griffes de la Nature.
O témoin, enlève de toi tout ce que tu as vu,
Tourne-toi vers l’Unique et l’Absolu, tourne-toi vers l’Eternel :
Sois seulement l’éternité, la paix et le silence,
O Unité sans-nom transcendante du monde,
Esprit immortel.

Hors du Silence, hors du Silence,
Emportant l’indicible Substance,
Emportant la splendeur et l’étendue,
Elève-toi, ô Esprit immortel.
Assignant au Temps sa signification sans-fin,
Le Bonheur se lance dans l’étreinte de l’Intemporel.
Eveillé dans le vivant Eternel, abrité sous l’aile de l’amour de l’infini,
La vie révélée par elle-même dans son état inépuisable,
Noyée dans sa joie et sa douceur,
Ton cœur tout près du coeur du Divin à jamais.

Poème de Sri Aurobindo, Pondichery, 1930/1942 ; re-traduction de Mudita.