lundi 26 novembre 2012

Les relations humaines dans le yoga (article en plusieurs parties - partie 1)

On ne peut évidemment pas se fier à l’affection humaine, tant elle est fondée sur l’égoïsme et le désir.

C’est une flamme de l’ego, tantôt trouble et brumeuse, tantôt plus claire et plus brillamment colorée ; tantôt tamasique, fondée sur l’instinct et l’habitude ; tantôt rajasique et nourrie par la passion ou la soif d’échange vital ; tantôt plus sattwique et qui s’efforce d’être ou de paraître, à ses propres yeux, désintéressée.

Mais fondamentalement, son existence repose sur un besoin personnel ou une contrepartie quelconque, intérieure ou extérieure, et quand le besoin n’est pas satisfait, quand la contrepartie cesse d’être accordée ou ne l’est pas, très souvent elle diminue, meurt ou ne subsiste plus que comme un vestige tiède ou troublé d’une habitude passée ; ou encore elle se tourne ailleurs pour se satisfaire. Plus elle est intense, plus elle tend à être perturbée par des tumultes, des heurts, des querelles, des troubles égoïstes, des exigences, des égarements pouvant aller jusqu’à la fureur et la haine, des ruptures. Non que ces affections ne soient pas durables. Les affections tamasiques instinctives durent à cause de l’habitude, en dépit de tout ce qui divise les personnes, comme par exemples certaines affections familiales. Les affections rajasiques peuvent quelquefois durer en dépit de toutes les perturbations, incompatibilités et ruptures violentes, parce que l’un a un besoin vital de l’autre et s’y accroche pour cette raison, ou parce que tous deux ont ce besoin et sans arrêt se séparent pour revenir et reviennent, pour se séparer ou vont de querelle en réconciliation et de réconciliation en querelle. Les affections sattwiques durent très souvent par devoir vis-à-vis d’un idéal ou par quelque autre soutien, bien qu’elles puissent perdre de leur acuité, de leur intensité ou de leur éclat.

Mais on ne peut vraiment compter sur une affection que lorsque l’élément psychique dans l’affection humaine devient assez fort pour nuancer et dominer tout le reste.

Pour cette raison, l’amitié est - ou plutôt peut - le plus souvent, être la plus durable des affections humaines, parce qu’en elle le vital intervient dans une moindre mesure et, bien qu’elle soit une flamme de l’ego, elle peut brûler d’un feu tranquille et pur qui donne en permanence sa chaleur et sa lumière. On ne peut n néanmoins avoir une amitié fiable qu’avec un très petit nombre de personnes. Une horde d’amis affectueux et fidèlement désintéressés est un phénomène si rare que l’on peut sans risque le taxer d’illusion.

De toute façon l’affection humaine, quelle que soit sa valeur, a sa place, car par elle l’être psychique reçoit les expériences émotives dont il a besoin jusqu’à ce qu’il soit prêt à préférer le vrai à l’apparence, le parfait à l’imparfait, le divin à l’humain.Extrait de Lettres sur le Yoga, tome 4

dimanche 25 novembre 2012

Les relations humaines dans le yoga (article en plusieurs parties - partie 2)

Les relations qui, dans la vie humaine, font partie de la nature vitale ordinaire, sont sans valeur dans la vie spirituelle. Elles font plutôt obstacle au progrès, car le mental et le vital devraient eux aussi se tourner tout entiers vers le Divin. En outre, l’objectif de la sâdhanâ est de pénétrer dans une conscience spirituelle et de tout fonder sur une base spirituelle nouvelle, ce qui ne peut se faire que lorsque l’on est parvenu à une union complète avec le Divin. En attendant, il faut avoir pour tous une bienveillance tranquille. Les relations vitales ne sont pas une aide, car elles maintiennent la conscience en bas, à un niveau vital, et l’empêchent de s’élever à un niveau supérieur…

Ce n’est pas à cause de votre nature ou d’un destin néfaste que votre vital ne peut trouver dans les relations humaines avec les autres la satisfaction qu’il en attendait. Ces relations ne peuvent jamais donner une satisfaction complète ou permanente ; si c’était possible, l’être humain n’aurait pas aucune raison de chercher le Divin. Il demeurerait satisfait de la vie terrestre ordinaire. C’est seulement lorsqu’on a trouvé le Divin, lorsque la conscience s’élève à la vraie conscience, que les vraies relations avec les autres peuvent s’établir…

Le mouvement du vital supérieur est plus raffiné et plus vaste dans son action que celui du vital ordinaire. Il met l’accent sur l’émotion plutôt que sur la sensation et le désir, mais il n’est pas dénué d’exigence et de désir de possession…

Il est facile de répondre à votre question sur l’âme complémentaire et le mariage : la voie de la vie spirituelle va, pour vous, dans une direction, le mariage dans une autre, qui lui est tout à fait opposée. Toute référence à une âme complémentaire est un camouflage sous lequel le mental cherche à dissimuler les besoins sentimentaux, sensuels et physiques de la nature vitale inférieure. C’est cette nature vitale en vous qui pose la question et aimerait recevoir une réponse qui réconcilierait ses désirs et ses exigences avec l’appel de l’âme vraie en vous. Mais elle ne doit pas s’attendre à nous voir approuver la réconciliation d’éléments aussi disparates.

La voie du yoga supramental est claire : elle ne passe pas par de telles concessions. Pas, dans votre cas, par la satisfaction, si possible sous couvert d’apparences spirituelles, de l’appétit de la nature vitale pour les conforts et les agréments d’une vie domestique et conjugale et pour l’assouvissement des désirs émotifs et des passions physiques ordinaires, mais par la purification et la transformation des forces que ces mouvements pervertissent et utilisent à contresens...

Extraits de Lettres sur le Yoga, tome 4

En illustration : Collage (détail) de Mudita

samedi 24 novembre 2012

Les relations humaines dans le yoga (article en plusieurs parties - partie 3/fin)


L’idée d’aider les autres est un fantasme de l’ego. C’est une forme subtile de l’ego. Seule la Force divine peut aider. On peut être son instrument, mais il faudrait d’abord apprendre à être un instrument approprié et sans ego.

Tout changement doit venir de l’intérieur avec le soutien perçu ou caché du Pouvoir divin. Ce n’est qu’en s’ouvrant soi-même à ce Pouvoir que l’on peut recevoir une aide, et non par un contact mental, vital ou physique avec d’autres personnes.

Une aide radicale ne peut venir que du dedans, par l’action de la Force divine et l’assentiment de l’être. Il faut bien dire que ceux qui croient aider n’apportent pas tous une aide réelle, et aussi que lorsque l’aide s’accompagne de l’exercice d’une « influence », celle-ci peut être d’un caractère complexe et nuire autant qu’aider si l’instrument n’est pas pur.

Il en est toujours ainsi dans la nature humaine : les hommes veulent s’aider les une les autres, mais ils ont un mobile caché ou un sentiment dont l’origine est l’ego. Ce n’est que lorsqu’on vit dans une conscience plus haute qu’il en est autrement.

L’inconvénient, lorsqu’on aide les autres, c’est bien entendu que l’on entre en contact avec leur conscience et leurs difficultés, et aussi que l’on s’extériorise davantage.

Par la sympathie, vous entrez en contact avec ce qui est en l’autre et le recevez. Vous pouvez également donner ou laisser sortir une partie de votre force qui va vers l’autre, ou encore vous la laisser soustraire. C’est la sympathie vitale qui produit cet effet. Une calme bienveillance spirituelle ou psychique n’entraîne pas ces réactions.

C’est dangereux de sympathiser avec quelqu’un qui est tombé dans l’erreur, parce qu’ainsi vous entrez en contact avec la Force adverse qui l’a bouleversé et aussitôt cette Force essaie de vous atteindre, de vous communiquer ses suggestions et de vous corrompre par une sorte de contagion ou d’infection.

Endosser les difficultés des autres serait cependant, je le crains, un lourd fardeau pour quiconque, et je doute de l’efficacité de cette méthode. On peut faire quelque chose de beaucoup plus utile : si l’on a la force, donner de sa force à l’autre. Si l’on a la paix, répandre sa paix sur l’autre, etc. Cela, on peut le faire sans perdre sa force ou sa paix, si c’est fait comme il faut.

Vouloir avec une constance inébranlable le bien de quelqu’un en concentrant cette volonté à la fois dans la tête et dans le cœur est la meilleure manière possible de l’aider.

Extraits de Lettres sur le Yoga, tome 4

En illustration : Mère Teresa de Calcutta... adulée par les uns et tant décriée par les autres, ou de la difficulté d'aider dans l'action juste.