jeudi 13 décembre 2012

La nature de l'Art

It is because Art reveals what Nature hides that a small picture is worth more than all the jewels of the millionaires and the treasures of the princes... Sri Aurobindo

En illustration : dessin / mine graphite, pierre noire et rehaut de blanc, sur papier coloré au café / création de Mudita.

lundi 26 novembre 2012

Les relations humaines dans le yoga (article en plusieurs parties - partie 1)

On ne peut évidemment pas se fier à l’affection humaine, tant elle est fondée sur l’égoïsme et le désir.

C’est une flamme de l’ego, tantôt trouble et brumeuse, tantôt plus claire et plus brillamment colorée ; tantôt tamasique, fondée sur l’instinct et l’habitude ; tantôt rajasique et nourrie par la passion ou la soif d’échange vital ; tantôt plus sattwique et qui s’efforce d’être ou de paraître, à ses propres yeux, désintéressée.

Mais fondamentalement, son existence repose sur un besoin personnel ou une contrepartie quelconque, intérieure ou extérieure, et quand le besoin n’est pas satisfait, quand la contrepartie cesse d’être accordée ou ne l’est pas, très souvent elle diminue, meurt ou ne subsiste plus que comme un vestige tiède ou troublé d’une habitude passée ; ou encore elle se tourne ailleurs pour se satisfaire. Plus elle est intense, plus elle tend à être perturbée par des tumultes, des heurts, des querelles, des troubles égoïstes, des exigences, des égarements pouvant aller jusqu’à la fureur et la haine, des ruptures. Non que ces affections ne soient pas durables. Les affections tamasiques instinctives durent à cause de l’habitude, en dépit de tout ce qui divise les personnes, comme par exemples certaines affections familiales. Les affections rajasiques peuvent quelquefois durer en dépit de toutes les perturbations, incompatibilités et ruptures violentes, parce que l’un a un besoin vital de l’autre et s’y accroche pour cette raison, ou parce que tous deux ont ce besoin et sans arrêt se séparent pour revenir et reviennent, pour se séparer ou vont de querelle en réconciliation et de réconciliation en querelle. Les affections sattwiques durent très souvent par devoir vis-à-vis d’un idéal ou par quelque autre soutien, bien qu’elles puissent perdre de leur acuité, de leur intensité ou de leur éclat.

Mais on ne peut vraiment compter sur une affection que lorsque l’élément psychique dans l’affection humaine devient assez fort pour nuancer et dominer tout le reste.

Pour cette raison, l’amitié est - ou plutôt peut - le plus souvent, être la plus durable des affections humaines, parce qu’en elle le vital intervient dans une moindre mesure et, bien qu’elle soit une flamme de l’ego, elle peut brûler d’un feu tranquille et pur qui donne en permanence sa chaleur et sa lumière. On ne peut n néanmoins avoir une amitié fiable qu’avec un très petit nombre de personnes. Une horde d’amis affectueux et fidèlement désintéressés est un phénomène si rare que l’on peut sans risque le taxer d’illusion.

De toute façon l’affection humaine, quelle que soit sa valeur, a sa place, car par elle l’être psychique reçoit les expériences émotives dont il a besoin jusqu’à ce qu’il soit prêt à préférer le vrai à l’apparence, le parfait à l’imparfait, le divin à l’humain.Extrait de Lettres sur le Yoga, tome 4

dimanche 25 novembre 2012

Les relations humaines dans le yoga (article en plusieurs parties - partie 2)

Les relations qui, dans la vie humaine, font partie de la nature vitale ordinaire, sont sans valeur dans la vie spirituelle. Elles font plutôt obstacle au progrès, car le mental et le vital devraient eux aussi se tourner tout entiers vers le Divin. En outre, l’objectif de la sâdhanâ est de pénétrer dans une conscience spirituelle et de tout fonder sur une base spirituelle nouvelle, ce qui ne peut se faire que lorsque l’on est parvenu à une union complète avec le Divin. En attendant, il faut avoir pour tous une bienveillance tranquille. Les relations vitales ne sont pas une aide, car elles maintiennent la conscience en bas, à un niveau vital, et l’empêchent de s’élever à un niveau supérieur…

Ce n’est pas à cause de votre nature ou d’un destin néfaste que votre vital ne peut trouver dans les relations humaines avec les autres la satisfaction qu’il en attendait. Ces relations ne peuvent jamais donner une satisfaction complète ou permanente ; si c’était possible, l’être humain n’aurait pas aucune raison de chercher le Divin. Il demeurerait satisfait de la vie terrestre ordinaire. C’est seulement lorsqu’on a trouvé le Divin, lorsque la conscience s’élève à la vraie conscience, que les vraies relations avec les autres peuvent s’établir…

Le mouvement du vital supérieur est plus raffiné et plus vaste dans son action que celui du vital ordinaire. Il met l’accent sur l’émotion plutôt que sur la sensation et le désir, mais il n’est pas dénué d’exigence et de désir de possession…

Il est facile de répondre à votre question sur l’âme complémentaire et le mariage : la voie de la vie spirituelle va, pour vous, dans une direction, le mariage dans une autre, qui lui est tout à fait opposée. Toute référence à une âme complémentaire est un camouflage sous lequel le mental cherche à dissimuler les besoins sentimentaux, sensuels et physiques de la nature vitale inférieure. C’est cette nature vitale en vous qui pose la question et aimerait recevoir une réponse qui réconcilierait ses désirs et ses exigences avec l’appel de l’âme vraie en vous. Mais elle ne doit pas s’attendre à nous voir approuver la réconciliation d’éléments aussi disparates.

La voie du yoga supramental est claire : elle ne passe pas par de telles concessions. Pas, dans votre cas, par la satisfaction, si possible sous couvert d’apparences spirituelles, de l’appétit de la nature vitale pour les conforts et les agréments d’une vie domestique et conjugale et pour l’assouvissement des désirs émotifs et des passions physiques ordinaires, mais par la purification et la transformation des forces que ces mouvements pervertissent et utilisent à contresens...

Extraits de Lettres sur le Yoga, tome 4

En illustration : Collage (détail) de Mudita

samedi 24 novembre 2012

Les relations humaines dans le yoga (article en plusieurs parties - partie 3/fin)


L’idée d’aider les autres est un fantasme de l’ego. C’est une forme subtile de l’ego. Seule la Force divine peut aider. On peut être son instrument, mais il faudrait d’abord apprendre à être un instrument approprié et sans ego.

Tout changement doit venir de l’intérieur avec le soutien perçu ou caché du Pouvoir divin. Ce n’est qu’en s’ouvrant soi-même à ce Pouvoir que l’on peut recevoir une aide, et non par un contact mental, vital ou physique avec d’autres personnes.

Une aide radicale ne peut venir que du dedans, par l’action de la Force divine et l’assentiment de l’être. Il faut bien dire que ceux qui croient aider n’apportent pas tous une aide réelle, et aussi que lorsque l’aide s’accompagne de l’exercice d’une « influence », celle-ci peut être d’un caractère complexe et nuire autant qu’aider si l’instrument n’est pas pur.

Il en est toujours ainsi dans la nature humaine : les hommes veulent s’aider les une les autres, mais ils ont un mobile caché ou un sentiment dont l’origine est l’ego. Ce n’est que lorsqu’on vit dans une conscience plus haute qu’il en est autrement.

L’inconvénient, lorsqu’on aide les autres, c’est bien entendu que l’on entre en contact avec leur conscience et leurs difficultés, et aussi que l’on s’extériorise davantage.

Par la sympathie, vous entrez en contact avec ce qui est en l’autre et le recevez. Vous pouvez également donner ou laisser sortir une partie de votre force qui va vers l’autre, ou encore vous la laisser soustraire. C’est la sympathie vitale qui produit cet effet. Une calme bienveillance spirituelle ou psychique n’entraîne pas ces réactions.

C’est dangereux de sympathiser avec quelqu’un qui est tombé dans l’erreur, parce qu’ainsi vous entrez en contact avec la Force adverse qui l’a bouleversé et aussitôt cette Force essaie de vous atteindre, de vous communiquer ses suggestions et de vous corrompre par une sorte de contagion ou d’infection.

Endosser les difficultés des autres serait cependant, je le crains, un lourd fardeau pour quiconque, et je doute de l’efficacité de cette méthode. On peut faire quelque chose de beaucoup plus utile : si l’on a la force, donner de sa force à l’autre. Si l’on a la paix, répandre sa paix sur l’autre, etc. Cela, on peut le faire sans perdre sa force ou sa paix, si c’est fait comme il faut.

Vouloir avec une constance inébranlable le bien de quelqu’un en concentrant cette volonté à la fois dans la tête et dans le cœur est la meilleure manière possible de l’aider.

Extraits de Lettres sur le Yoga, tome 4

En illustration : Mère Teresa de Calcutta... adulée par les uns et tant décriée par les autres, ou de la difficulté d'aider dans l'action juste.

jeudi 30 août 2012

Les opinions, la science, la solitude, l'action et l'inaction

Systématiser, nous y sommes obligés, mais même quand nous édifions et soutenons un système, nous ne devrions jamais perdre de vue cette vérité que tous les systèmes, par nature, sont transitoires et incomplets.

Si tu ne veux pas être le jouet des opinions, vois d’abord en quoi ta pensée est vraie, puis étudie en quoi son contraire est vrai. Enfin, découvre la cause de ces différences et la clef de l’harmonie de Dieu.

Sers-toi des opinions dans la vie, mais ne les laisse pas enchaîner ton âme dans leurs fers.

Une opinion n’est ni vraie ni fausse, elle est seulement utile dans la vie ou inutile, car c’est une création du Temps et avec le temps elle perd son efficacité et sa valeur. Elève-toi au dessus des opinions et cherche la sagesse impérissable.

L’amour de l’inaction est sottise, et sottise le mépris de l’inaction - il n’y a pas d’inaction. La pierre inerte sur le sable, que tu envoies promener d’un coup de pied distrait, a produit son effet sur les hémisphères.

Quand la connaissance est fraîche en nous, elle est invincible. Vieille, elle perd sa vertu. Parce que Dieu va toujours de l’avant.

La science pérore et se conduit comme si elle avait conquis toute la connaissance. La sagesse chemine, et elle entend l'écho de son pas solitaire au bord des océans immenses.

Voir la composition du soleil ou les lignes de Mars est sans doute un grand exploit. Mais quand tu auras l’instrument qui te fera voir l’âme de l’homme comme tu peux voir un tableau, alors tu souriras des merveilles de la science physique comme d’un jouet d’un bébé.

L’Europe se vante de son organisation et de son efficacité pratiques et scientifiques. J’attends que son organisation soit parfaite, alors un enfant la détruira.

L’amour de la solitude est le signe d’une disposition à la connaissance. Mais on ne parvient à la connaissance que lorsqu’on perçoit la solitude invariablement et partout, dans la foule et dans la bataille, et sur la place du marché.

Je ne suis pas un bhakta, car je n'ai pas renoncé au monde pour Dieu. Comment puis-je renoncer à ce qu'Il m'a pris de force et m'a redonné contre ma volonté ? Ces choses sont trop difficiles pour moi.

Quand je me plains d'une infortune et l'appelle un mal, ou quand je suis jaloux et déçu, je sais qu'en moi s'est encore réveillé l'éternel imbécile.

Mieux vaut être une pierre sur la route qui mène au Divin qu’une argile molle et faible dans les sentiers bourbeux de la nature vitale humaine ordinaire.

Les hommes courent après le plaisir et étreignent fiévreusement cette épouse brûlante sur leur cœur tourmenté ; pendant ce temps, une félicité divine et impeccable se tient derrière eux, attendant d’être vue, réclamée, et capturée.

L‘un des grands réconforts de la religion est que parfois vous pouvez empoigner Dieu et lui donner une satisfaisante raclée. Les gens se moquent de la sottise des sauvages qui battent leur Dieu lorsque leurs prières ne sont pas exaucées ; mais ce sont les moqueurs qui sont sots et sauvages.

Si seulement les hommes entrevoyaient les jouissances infinies, les forces parfaites, les horizons lumineux de connaissance spontanée, les calmes étendues de notre être qui nous attendent sur les pistes que notre évolution animale n’a pas encore conquises, ils quitteraient tout et n’auraient de cesse qu’ils n’aient gagné ces trésors. Mais le chemin est étroit, les portes sont difficiles à forcer, et la peur, le doute, le scepticisme sont là, sentinelles de la nature pour nous interdire de détourner nos pas des pâtures ordinaires

Dire que les choses commencent et finissent est une convention de notre expérience. Dans leur existence vraie, ces termes n’ont pas de réalité : il n’y a ni fin ni commencement.

Tout ce qui dépasse son niveau semble dur à l’homme. Et c’est dur en effet, pour un seul effort et sans aide. Mais la chose devient facile aussitôt, et simple, quand Dieu en l’homme prend le travail en main.

Extrait de Pensées et Aphorismes

samedi 21 avril 2012

L’aspiration et la grâce (article en plusieurs parties - partie 1)

Seuls deux pouvoirs, par leur conjonction, peuvent accomplir la grande et difficile tâche qui est le but de notre effort : une aspiration constante et infaillible appelant d’en bas et une Grâce suprême répondant d’en haut.

Mais la grâce suprême n’agira que dans les conditions de la lumière et de la vérité : elle n’agira pas dans les conditions imposées par le mensonge et l’ignorance. Car si elle devait se soumettre aux exigences du mensonge, ce serait la ruine de ses propres desseins.

Voici les conditions de lumière et de vérité, les seules conditions sous lesquelles la Force la plus haute descendra ; et c’est seulement la plus haute Force supramentale descendant d’en haut et s’ouvrant le passage d’en bas qui pourra manier victorieusement la nature physique et annihiler ses difficultés… Il faut un don de soi total et sincère, une ouverture de soi tournée exclusivement vers le Pouvoir divin, une admission constante et intégrale de la Vérité qui descend, un constant et intégral rejet du mensonge, des pouvoirs et des apparences du mental, du vital et du physique qui gouvernent encore la nature terrestre.

Le don de soi doit être total et s’étendre à toutes les parties de l’être. Ce n’est pas suffisant que le psychique réponde, que le mental supérieur accepte, ou même que le vital inférieur se soumette et que la conscience physique intérieure sente l’influence. Il ne doit rien y avoir, dans aucune partie de l’être, même la plus extérieure, qui se réserve ou qui se cache derrière des doutes, des confusions, des subterfuges, rien qui se révolte ou se refuse.

Si une partie de l’être se soumet, mais qu’une autre partie se réserve et suive son propre chemin ou pose ses propres conditions, alors chaque fois que cela se produit, vous repoussez vous-même la Grâce divine loin de vous.

Si derrière votre dévotion et votre soumission, vous abritez vos désirs, vos exigences égoïstes et vos insistances vitales, si vous mettez ces choses à la place de l'aspiration vraie ou que vous les mêliez avec elle et que vous vous efforciez de les imposer à la Shakti divine, c'est en vain que vous invoquerez la Grâce divine pour vous transformer.

Extrait de La Mère dans De la Grèce à l’Inde

En illustration : Ange à la Trompette, d'après Edward Burne-Jones, un pastel de Mudita

mardi 10 avril 2012

L’aspiration et la grâce (article en plusieurs parties - partie 2)

Si vous vous ouvrez d’un coté ou dans une partie de votre être à la vérité, et que d’un autre coté vous ouvriez constamment les portes aux forces hostiles, il est futile d’espérer que la Grâce divine demeurera avec vous.

Vous devez garder le temple propre si vous désirez y établir la Présence divine.

Si, chaque fois que le pouvoir intervient et fait descendre la Vérité, vous lui tournez le dos et rappelez le mensonge qui a été expulsé, ce n’est pas la Grâce divine que vous devez blâmer de vous faire défaut, mais la fausseté de votre propre volonté et l’imperfection de votre propre soumission.

Si vous appelez la Vérité et en même temps que quelque choses en vous choisisse ce qui est faux, ignorant et non divin, ou même simplement ne soit pas disposé à le rejeter totalement, alors vous serez toujours exposé aux attaques et la Grâce se retirera de vous. Découvrez d’abord ce qui est faux et obscur en vous-même et rejetez-le avec persistance : alors seulement vous aurez le droit de faire appel au Pouvoir divin pour qu’il vous transforme.

N’imaginez pas que la vérité et le mensonge, la lumière et l’ombre, la soumission et l’égoïsme puissent être admis à demeurer ensemble dans la maison consacrée au Divin. La transformation doit être intégrale et intégral doit être le rejet de tout ce qui s’y oppose.

Rejetez cette notion fausse que le Pouvoir divin fera, et est obligé de faire, tout pour vous sur votre demande et quand bien même vous ne satisfaites pas aux conditions posées par le Suprême. Que votre soumission soit vraie et complète, alors seulement tout le reste sera fait pour vous.

Un extrait de La Mère dans De la Grèce à l’Inde

En illustration : Les Trois Anges de Dali

vendredi 30 mars 2012

L’aspiration et la grâce (article en plusieurs parties - partie 3 / fin)

Rejetez aussi l’attente fausse et indolente que le Pouvoir divin accomplisse même la soumission pour vous. Le Suprême demande votre soumission mais ne l’impose pas. Jusqu’à ce que vienne la transformation irrévocable, vous être libres à tout moment de nier et de rejeter le Divin ou de revenir sur le don de vous-même, si vous êtes disposé à en subir les conséquences spirituelles. Votre soumission doit être libre et spontanée. Elle doit être la soumission d’un être vivant, et non celle d’un automate inerte ou d’un outil mécanique.

On confond constamment une inerte passivité avec la soumission réelle. Mais d’une passivité inerte rien de vrai et de puissant ne peut résulter. C’est la passivité inerte de la nature physique qui la laisse à la merci de toutes les influences obscures et anti-divines.

Une soumission heureuse, forte et utile est demandée pour que la Force divine puisse travailler, l’obéissance du disciple illuminé de la Vérité, du guerrier intérieur, qui combat contre l’obscurité et le mensonge, du fidèle serviteur du Divin.

Telle est l’attitude vraie, et seulement ceux qui peuvent la prendre et la garder sauront conserver une foi que les déceptions et les difficultés n’ébranleront pas, et passer à travers l’épreuve vers la victoire suprême et la grande transformation.

Extrait de La Mère dans De la Grèce à l’Inde

En illustration : Ange de Fra Angelico