samedi 29 octobre 2011

La folle beauté du monde


La folle beauté du monde reflète le plaisir de Dieu.
Le sourire de cet enchantement est partout secret ;
Il coule à flots dans le souffle du vent, la sève de l'arbre,
Sa magnificence colorée s'épanouit dans les feuilles et les fleurs.

Poème de Sri Aurobindo

Illustration : Maulnes en automne, photo de Mudita.

mercredi 28 septembre 2011

Foi et Shakti (Article en plusieurs parties - partie n°1)

Nous avons jusqu'à présent étudié les caractéristiques générales des trois parties de la perfection des instruments de notre nature : la perfection de l'intelligence, du coeur, de la conscience vitale et du corps, puis la perfection des pouvoirs fondamentaux de l'âme, et finalement la perfection de la soumission de nos instruments et de notre action à la Shakti divine.

Mais ces trois parties dépendent à chaque instant d'un quatrième pouvoir pour progresser, et ce pouvoir, visiblement ou non, est le pivot de toute entreprise et de toute action : la foi, shraddhâ.

La foi parfaite est l'assentiment de tout l'être à la vérité qu'il a vue ou qui s'est offerte à son acceptation, et son ressort central est la foi de l'âme en sa propre volonté d'être, de réaliser et de devenir, une foi en son idée d'elle-même et des choses et en sa connaissance, dont les croyances de l'intellect, le consentement du coeur et le désir mental-vital de possession et de réalisation sont des formes extérieures.

Cette foi de l'âme, sous une forme ou une autre, est indispensable à l'action de l'être. Sans elle, l'homme ne pourrait pas faire un seul pas dans la vie, et encore moins avancer vers une perfection encore inatteinte. La foi est un élément si central et si essentiel que la Guîta dit à juste titre que, quelle que soit la shraddâ d'un homme, cela il l'est, yô yacchraddhah sa éva sah, et l'on peut ajouter : quelle que soit la chose qu'il voit comme possible en lui-même avec foi et vers quoi il tende, cela il peut le créer et le devenir.

Il existe un genre de foi indispensable pour le yoga intégral : on peut l'appeler la foi en Dieu et en la Shakti, la foi en la présence et en le pouvoir du Divin en nous et dans le monde, la foi que tout, dans le monde, est l'action d'une unique Shakti divine, la foi que tous les pas du yoga, tous ses efforts, ses souffrances, ses échecs autant que ses succès, et ses satisfactions, et ses victoires, sont utiles et nécessaires à la marche de la Shakti, et que, par une forte et ferme confiance, par un total don de soi au Divin et à sa Shakti en nous, nous pouvons parvenir à l'unité, à la liberté, à la victoire et à la perfection.

Un extrait de La Synthèse des Yoga - Volume 3 : Le Yoga de la Perfection de soi

lundi 26 septembre 2011

Foi et Shakti (Article en plusieurs parties - partie n°2)

L'ennemi de la foi est le doute, et pourtant le doute aussi est utile et nécessaire, parce que, dans son ignorance et son labeur progressif vers la Connaissance, l'homme a besoin d'être visité par le doute, sinon il resterait obstinément enfermé dans une croyance ignorante ou une connaissance limitée et il serait incapable d'échapper à ses erreurs.

L'utilité et la nécessité du doute ne disparaissent pas tout à fait quand nous entrons sur la voie du yoga. Le yoga intégral ne vise pas simplement à la Connaissance de quelque principe fondamental mais à une compréhension, à une gnose qui s'applique à toute la vie, à toute l'action du monde et l'embrasse tout entière. Or, dans cette recherche de la Connaissance, nous nous mettons en route et sommes accompagnés pendant des kilomètres par les activités non régénérées du mental, jusqu'à ce que celles-ci soient purifiées et transformées par une lumière plus grande. Nous emportons avec nous quantité de croyances intellectuelles et d'idées qui sont fort loin d'être toutes correctes ni parfaites, puis une troupe d'idées nouvelles et de suggestions viennent à notre rencontre pour nous demander créance. Or, il serait fatal de s'en emparer et de s'y accrocher pour toujours sous la forme qu'elles revêtent, sans nous soucier des erreurs, des limitations ou des imperfections qu'elles peuvent recéler.

En vérité, à un certain stade du yoga, il devient indispensable de refuser d'accepter comme définitive et ultime toute idée intellectuelle ou opinion de forme intellectuelle, et de la garder en suspens, interrogativement, jusqu'à ce qu'elle trouve sa place exacte et sa forme de vérité lumineuse dans une expérience spirituelle illuminée par la Connaissance Supramentale.

Il en va de même, et plus encore, quand il s'agit des désirs ou des impulsions mentales-vitales que nous sommes souvent obligés d'accepter provisoirement comme l'indication immédiate d'une action temporairement nécessaire, jusqu'à ce que nous puissions recevoir la direction complète. Mais nous ne devons pas nous y attacher pour toujours avec le total consentement de l'âme, car, finalement, tous ces désirs et toutes ces impulsions doivent être rejetés, ou transformés et remplacés par les impulsions de la volonté divine qui prendra en main les mouvements de notre vie.

La foi du coeur, les croyances émotives et leur assentiment sont nécessaires aussi sur le chemin, mais ils ne sont pas toujours des guides très sûrs tant que, eux aussi, n'ont pas été pris en main, purifiés, transformés, et finalement remplacés par l'assentiment lumineux d'un Ananda divin qui ne fait qu'un avec la Volonté et avec la Connaissance divines.

Il n'est rien dans la nature inférieure, de la raison jusqu'à la volonté vitale, à quoi le chercheur du yoga puisse accorder une foi totale et permanente, sauf, tout au bout, à la Vérité, au Pouvoir et à l'Ananda spirituels qui, en la raison spirituelle, deviennent ses seuls guides, ses luminaires et les maîtres de son action.

Un extrait de la Synthèse des Yogas - Volume 3 : le Yoga de la Perfection de soi

samedi 24 septembre 2011

Foi et Shakti (Article en plusieurs parties - partie n°3)

Et pourtant, la foi est nécessaire d'un bout à l'autre et à chaque pas, parce que c'est l'assentiment indispensable de l'âme, et sans cet assentiment il ne peut pas y avoir de progrès.

Et d'abord, notre foi doit rester fidèle à la vérité essentielle et aux principes du yoga. Même si elle est voilée dans l'intellect, découragée dans le coeur, lassée et épuisée par les négations et les échecs constants des désirs du mental-vital, il faut que quelque chose dans l'âme profonde s'accroche à elle et y retourne, sinon nous risquons de tomber en chemin ou de l'abandonner par faiblesse et incapacité de supporter une défaite, une déception, une difficulté ou un péril temporaires.

Dans le yoga, comme dans la vie, celui qui persiste inlassablement et jusqu'au bout en face de toutes les défaites et de toutes les désillusions, tous les événements contradictoires et les pouvoirs hostiles qui l'assaillent, celui-là, à la fin, conquiert et voit sa foi justifiée, parce que rien n'est impossible à l'âme et à la Shakti dans l'homme.

Même une foi aveugle et ignorante est une possession meilleure que le doute sceptique qui tourne le dos à nos possibilités spirituelles, ou meilleure que la censure constante d'un intellect étroit, mesquinement critique et démolisseur (asoûyâ), qui harcèle notre entreprise par ses incertitudes paralysantes. D'une manière ou d'une autre, le chercheur du yoga intégral doit conquérir ces deux imperfections. Ce à quoi il a donné son assentiment et qu'en son mental, son coeur et sa volonté, il a décidé d'accomplir - la perfection divine de l'être humain total - est apparemment une impossibilité pour l'intelligence normale puisqu'elle s'oppose aux faits concrets de la vie et sera pendant longtemps contredite par l'expérience immédiate, comme il en est de tous les buts lointains et difficiles. Elle est même démentie par bon nombre de ceux qui ont une expérience spirituelle et qui croient que notre nature actuelle est la seule nature possible pour l'homme dans un corps, et que c'est seulement en rejetant la vie terrestre, ou même toute existence individuelle, que l'on peut parvenir à une perfection céleste ou à la délivrance dans l'anéantissement.

Dans la poursuite de notre but, nous trouverons pendant longtemps de nombreuses justifications aux objections et censures (asoûyâ) de cette raison critique ignorante et obstinée qui se fonde avec tant de plausibilité sur les apparences du moment, sur le répertoire des faits et des expériences établies, qui refuse d'aller plus loin et questionne la validité de tous les signes, toutes les illuminations annonçant notre avance. Si le chercheur cède à ces étroites suggestions, il n'arrivera pas au but, ou il sera sérieusement entravé et ce pendant longtemps, retardé dans son voyage.

Néanmoins, l'ignorance et l'aveuglement de la foi font obstacle également à un large succès ; ils appellent bien des déceptions et des désillusions, lient à de faux buts et empêchent d'avancer vers des formulations plus vastes de la vérité et de la perfection.

Dans sa marche, la Shakti frappera sans merci toutes les formes d'ignorance et d'aveuglement, elle frappera même tout ce qui se fie à elle erronément et superstitieusement - nous devons être prêts à abandonner un attachement trop persistant aux formes de la foi et nous agripper seulement à la réalité qui sauve. Une foi spirituelle et intelligente, forte, vaste - intelligente de cette intelligence de l'autre raison plus large qui consent aux hautes possibilités - tel est le caractère de la shraddhâ indispensable au yoga intégral.

Un extrait de La Synthèse des Yogas - Volume 3 : le Yoga de la Perfection de soi

En illustration : un mandala en construction, acrylique sur toile 1 m x 1 m, de Mudita

jeudi 22 septembre 2011

Foi et Shakti (Article en plusieurs parties - partie n°4)

Cette shraddhâ (le mot anglais “faith”, ou le mot français “foi” est inadéquat pour l'exprimer) est en fait une influence venue de l'Esprit suprême et de sa lumière, un message de notre être supramental qui appelle la nature inférieure à sortir de son petit état actuel et à s'élever à un vaste devenir, un dépassement de soi.

Or, ce qui reçoit l'influence et répond à l'appel, n'est pas tant l'intellect, le coeur ni le mental-vital, que l'âme intérieure qui voit avec plus de clairvoyance la vérité de sa propre destinée et de sa mission.

Les circonstances qui déterminent notre première entrée sur le chemin ne sont pas l'indice véritable de l'être qui oeuvre en nous. À ce stade, l'intellect, le coeur ou les désirs du mental-vital peuvent jouer un rôle prépondérant, ou même les accidents fortuits et les stimulants extérieurs ; mais s'il n'y a pas autre chose, nous ne pouvons guère être sûrs de notre fidélité à l'appel ni de notre persévérance endurante dans le yoga. L'intellect peut abandonner l'idée qui l'avait séduit, le coeur se fatiguer ou nous manquer, le désir du mental-vital se tourner vers d'autres objets. Mais les circonstances extérieures ne sont qu'une couverture des opérations véritables de l'esprit et si c'est l'esprit qui a été touché, si c'est l'âme intérieure qui a reçu l'appel, la shraddhâ restera ferme et résistera à toutes les tentatives qui voudraient l'abattre ou la détruire. Non pas que les doutes de l'intellect ne viendront pas à l'assaut, que le coeur ne vacillera pas, que le désir du mental-vital, désappointé, ne retombera pas épuisé au bord du chemin. Tout cela est presque inévitable parfois - souvent peut-être, surtout pour nous, fils d'un âge d'intellectualité, de scepticisme et de négation matérialiste de la vérité spirituelle, un âge qui n'a pas encore secoué les nuages qu'il a peints sur la face du soleil d'une réalité plus vaste et qui résiste encore à la lumière de l'intuition spirituelle et de l'expérience profonde.

Très probablement, ces obscurcissements pénibles seront nombreux ; les Rishis védiques eux-mêmes, si souvent, se sont plaints de ces “longs exils de la lumière” ; et ces obscurcissements peuvent être si épais, la nuit de l'âme si noire, que la foi peut sembler nous avoir totalement quittés. Mais tout du long, l'esprit au-dedans garde son emprise invisible, et l'âme reviendra avec une force nouvelle à sa certitude qui était seulement éclipsée mais non éteinte, car, éteinte, elle ne peut l'être une fois que le moi intérieur a connu cela et pris sa résolution - samkalpa, vjavasâya. Tout du long, le Divin tient notre main, et s'il semble nous laisser chuter, c'est seulement pour nous soulever plus haut. L'expérience de ces retours sauveurs, nous l'aurons si souvent que les démentis du doute deviendront finalement impossibles et, une fois le fondement d'égalité solidement établi ou, plus encore, quand le soleil de la gnose se sera levé, même le doute disparaîtra, parce que sa cause et son utilité auront cessé.

En outre, ce n'est pas seulement la foi en les principes fondamentaux, dans les idées et la voie du yoga, qui est nécessaire, mais, jour après jour, une foi pratique en notre propre pouvoir de réalisation, en les pas que nous avons accomplis sur le chemin, en les expériences spirituelles qui viennent à nous, en les intuitions, les mouvements qui guident la volonté et l'impulsion, en les intensités émues du coeur et les aspirations, en les accomplissements de la vie qui viennent aider, entourer et marquer les étapes de l'élargissement de la nature, stimuler ou jalonner les degrés de l'évolution de l'âme. Aussi, il faut toujours se souvenir que nous partons de l'imperfection et de l'ignorance, et que nous sommes en route vers la lumière et la perfection ; par conséquent, la foi en nous doit être libre de tout attachement aux formes de notre effort et aux étapes successives de notre réalisation.

Non seulement il y aura bien des choses en nous qui seront fortement soulevées afin d'être extirpées et rejetées, une bataille des pouvoirs de l'ignorance et de la nature inférieure contre les pouvoirs supérieurs qui doivent les remplacer, mais il y aura aussi des expériences, des états de pensée et de sentiment, des formes de réalisation - utiles et acceptables en cours de route, et qui peuvent nous apparaître, sur le moment, comme des sommets spirituels -, mais qui, plus tard, nous nous en apercevrons, sont des étapes de transition à dépasser. Alors la foi pratique qui les avait soutenus doit être retirée en faveur de formes plus larges, ou de réalisations et d'expériences plus pleines, plus vastes, qui prendront leur place ou en lesquelles ils seront intégrés et complétés dans une transformation enrichissante.

Pour le chercheur du yoga intégral, il ne peut pas y avoir d'attachement aux lieux de repos en route ni aux demeures à mi-chemin ; il ne peut pas être satisfait tant qu'il n'aura pas établi totalement les grandes bases durables de sa perfection et débouché sur les infinitudes larges et libres - et même alors, il doit constamment se remplir d'expériences nouvelles de l'Infini. Son progrès est une ascension de niveau en niveau et chaque hauteur nouvelle s'ouvre sur d'autres perspectives, d'autres révélations de tout ce qui reste encore à accomplir, bhoûri kartwam, jusqu'au jour où la Shakti divine, enfin, prendra en main toute notre entreprise et le chercheur n'aura plus, alors, qu'à adhérer et à participer joyeusement à Ses oeuvres lumineuses dans une union consentante.

Ce qui le soutiendra tout au long de ces changements, ces luttes, ces transformations - qui autrement peuvent être décourageantes, déconcertantes, car l'intellect, la vie et les émotions veulent toujours s'emparer trop vite du but, se fixer à des certitudes prématurées, et se laissent volontiers aller à l'affliction ou au rechignement quand ils sont forcés d'abandonner ce sur quoi ils se reposaient -, c'est une foi solide en la Shakti qui travaille et une confiance en la direction du Maître du Yoga dont la sagesse n'est pas pressée et dont chaque pas, en dépit de toutes les perplexités du mental, est assuré, juste, ferme, parce que chacun se fonde sur une parfaite compréhension des transactions avec les nécessités de notre nature.

Un extrait de La Synthèse des Yogas - Volume 3 : le Yoga de la Perfection de soi

mardi 20 septembre 2011

Foi et Shakti (Article en plusieurs parties - partie n°5)

Le progrès du yoga est semblable à un lent cheminement qui part de l'ignorance mentale et passe par des formations imparfaites pour aboutir à un fondement de connaissance parfait et à une connaissance grandissante.

Dans ses parties plus positivement satisfaisantes, c'est un mouvement qui va d'une lumière à une autre lumière plus vaste, et il ne peut cesser jusqu'à ce que nous arrivions à la suprême lumière de la connaissance supramentale.

Les mouvements du progrès mental sont nécessairement mélangés à une proportion d'erreur plus ou moins grande, mais nous ne devons pas permettre à notre foi d'être déconcertée par la découverte de ces erreurs, ni imaginer que notre foi première en l'âme n'est plus valable sous prétexte que les croyances intellectuelles qui nous avaient aidés étaient trop hâtives et trop tranchantes. L'intellect humain a trop peur de l'erreur, justement parce qu'il est trop attaché à un sentiment prématuré de certitude et que son ardeur est trop empressée d'arriver au sommet absolu de ce qu'il croyait avoir saisi de la connaissance.


Plus notre expérience de nous-même grandit, plus nous nous apercevons que même nos erreurs étaient des mouvements nécessaires ; qu'elles apportaient avec elles et déposaient leur sédiment de vérité ou leur suggestion de vérité, et qu'elles avaient aidé à la découverte ou prêté leur appui à un effort nécessaire, et que les certitudes qu'il nous faut abandonner maintenant avaient tout de même leur validité temporaire dans le progrès de notre connaissance.

L'intellect ne peut pas être un guide suffisant dans la recherche de la vérité et de la réalisation spirituelles, et, pourtant, il doit être utilisé dans le mouvement intégral de notre nature. Par conséquent, même si nous devons rejeter les doutes paralysants ou le scepticisme purement intellectuel, l'intelligence chercheuse doit néanmoins s'entraîner à une large remise en question, à une rectitude intellectuelle qui ne se satisfait point des demi-vérités, des mélanges d'erreurs ou d'approximations et, surtout, plus positivement et plus utilement, elle doit être toujours prête à aller de l'avant et à passer des vérités déjà acquises ou acceptées à des vérités rectificatives plus vastes, plus complètes, plus transcendantes, que tout d'abord elle avait été incapable d'accepter, ou peut-être même peu encline à envisager. Une foi pratique de l'intellect est indispensable - non pas une croyance superstitieuse, dogmatique, limitative, qui s'accroche à chaque support et à chaque formule temporaires, mais un large assentiment aux suggestions successives et aux étapes progressives de la Shakti : une foi fixée sur les réalités et qui s'avance des réalités moindres vers des réalités plus complètes, prête à jeter bas tous les échafaudages pour retenir seulement la vaste structure qui grandit.

Une shraddhâ constante, une foi, un consentement constants du coeur et de la vie sont également indispensables. Mais tant que nous sommes dans la nature inférieure, le consentement du coeur est teinté d'émotions mentales, et les mouvements de la vie s'accompagnent d'un sillage de désirs troublants et de tensions. Or, les émotions mentales et le désir amènent la confusion, ils altèrent plus ou moins grossièrement ou subtilement la vérité et la déforment, et, toujours, ils apportent quelque limitation ou imperfection dans la réalisation que le coeur et la vie peuvent avoir de la vérité. Le coeur aussi, quand il est dérangé dans ses attachements et ses certitudes, troublé par des déconvenues ou des échecs, convaincu d'erreur, ou lorsqu'il s'est engagé dans la lutte qui l'enjoint à dépasser ses positions assurées, il a ses traînardises, ses lassitudes, ses chagrins, ses révoltes, ses résistances qui entravent le progrès. Il doit apprendre à avoir une foi plus large et plus sûre et, au lieu de répondre par des réactions mentales, donner une acceptation spirituelle calme ou vibrante aux manières et aux mesures de la Shakti - une acceptation qui, en fait, est l'assentiment d'un Ananda de plus en plus profond à tous les mouvements nécessaires, un empressement à quitter les vieilles amarres pour avancer toujours plus loin vers la félicité d'une perfection supérieure.

Le mental-vital doit donner son assentiment aux impulsions, aux activités et aux mobiles successifs de la vie qui lui sont imposés par le pouvoir-guide comme des aides ou des terrains de développement de la nature ; il doit donner son assentiment aussi aux mouvements successifs du yoga intérieur, mais il ne doit avoir nul attachement et ne demander nulle part de halte ; toujours, il doit être prêt à quitter les vieilles urgences et à accepter, avec le même assentiment complet, des activités et des mouvements nouveaux plus élevés ; et il doit apprendre à remplacer le désir par un vaste Ananda clair dans toutes les expériences et dans toutes les actions. Comme la foi de l'intelligence, la foi du coeur et la foi du mental-vital doivent être capables de se rectifier, s'élargir et se transformer constamment.

Essentiellement, cette foi est la shraddhâ secrète de l'âme ; elle émerge de plus en plus à la surface et s'affermit, s'entretient, s'accroît avec la solidité et la certitude grandissantes de l'expérience spirituelle. Ici aussi, cette foi en nous doit être sans attachement ; elle doit se mettre à la disposition de la Vérité et être prête à changer, à élargir sa compréhension des expériences spirituelles, à corriger les idées erronées ou à demi vraies qu'elle pouvait avoir et à recevoir des interprétations plus illuminatrices, à remplacer les intuitions insuffisantes par des intuitions plus suffisantes et à refondre en des combinaisons plus satisfaisantes des expériences qui, sur le moment, avaient semblé définitives et satisfaisantes, en les combinant d'une façon plus satisfaisante à des expériences nouvelles, des largeurs et des transcendances plus vastes. Dans le domaine psychique surtout et les autres domaines intermédiaires, les possibilités d'erreurs fourvoyantes et souvent captivantes sont considérables ; c'est ici que même une certaine somme de scepticisme positif a son utilité, et, en tout cas, une grande précaution et une rectitude intellectuelle scrupuleuse, mais non le scepticisme du mental ordinaire qui équivaut à une négation paralysante.

Dans le yoga intégral, les expériences psychiques (surtout celles qui s'associent à ce qu'on appelle souvent “occultisme” et qui tiennent du miraculeux) doivent être complètement subordonnées à la vérité spirituelle et s'en remettre à elle pour être interprétées, illuminées, autorisées. Mais même dans le domaine purement spirituel, il existe des expériences partielles et, bien qu'attrayantes, elles n'acquièrent leur validité et leur signification complètes ou leur application correcte que quand nous parvenons à une expérience plus totale. Et il existe d'autres expériences, qui en elles-mêmes sont tout à fait valables, complètes, absolues, mais qui, si nous nous y enfermons, empêchent d'autres aspects de la vérité spirituelle de se manifester et, ainsi, tronquent l'intégralité du yoga. Par exemple, la profonde quiétude absorbante de la paix impersonnelle qui survient avec l'immobilisation du mental est une expérience complète et absolue en soi, mais si nous en restons là, elle fermera la porte à son compagnon absolu (non moins grand, non moins nécessaire, non moins vrai) de la béatitude de l'action divine. Ici aussi, notre foi doit être un acquiescement à recevoir toutes les expériences spirituelles, mais avec une large ouverture, un empressement à vouloir toujours plus de lumière et de vérité, une absence de tout attachement limitateur et sans jamais s'accrocher aux formes qui pourraient entraver la marche en avant de la Shakti vers l'intégralité de l'être, de la conscience, de la connaissance, de l'action et du pouvoir spirituels et vers la totalité de l'Ananda unique et innombrable.

Un extrait de La Synthèse des Yogas - Volume 3 : le Yoga de la Perfection de soi

dimanche 18 septembre 2011

Foi et Shakti (Article en plusieurs parties - partie n°6 -fin)

La foi que l'on demande de nous, non seulement dans son principe général mais dans son application constante et détaillée, équivaut à un vaste assentiment, toujours plus grand, toujours plus pur, plus complet, plus fort, de l'être tout entier et de toutes ses parties à la présence et à la direction de Dieu et de la Shakti.
Mais la foi en la Shakti, tant que nous ne sommes pas conscients de sa présence et remplis par elle, doit nécessairement être précédée, ou du moins accompagnée, d'une solide foi virile en notre propre volonté et en notre propre énergie spirituelle, en notre propre pouvoir d'avancer victorieusement vers l'unité, vers la liberté et la perfection. La foi de l'homme en lui-même, en ses idées, ses pouvoirs, lui est donnée afin qu'il puisse oeuvrer et créer, s'élever à des hauteurs plus grandes, et finalement, au bout du chemin, apporter sa force comme une noble offrande sur l'autel de l'Esprit. Cet esprit ne sera pas conquis par le faible, dit l'Écriture, nâyam âtrnâ balahînéna labhyah. Chaque manque de confiance en soi paralysant doit être repoussé, chaque doute en notre pouvoir d'accomplir, car c'est un faux acquiescement à l'impuissance, c'est une imagination de faiblesse et une négation de la toute-puissance de l'esprit. Une incapacité actuelle, si lourde semble son poids, est seulement une épreuve de la foi et une difficulté temporaire.

Céder à un sentiment d'incapacité est un non-sens pour le chercheur du yoga intégral, puisque son but est le développement d'une perfection qui est déjà là, latente en son être - car l'homme porte en lui-même, dans son propre esprit, la semence de la vie divine, et, par conséquent, la possibilité de succès est contenue et impliquée dans l'effort même, et la victoire assurée parce que, derrière, se trouvent l'appel et la direction d'un pouvoir omnipotent.

Mais en même temps, cette foi en nous-mêmes doit être purifiée de toute trace d'égoïsme râdjasique et de tout orgueil spirituel. Le sâdhak doit se rappeler, autant que possible, que sa force n'est pas la sienne au sens égoïste, mais celle de la Shakti divine universelle, et que tout égoïsme dans l'usage qu'il fait de la Shakti est nécessairement une cause de limitation et finalement un obstacle. Le pouvoir de la Shakti divine universelle derrière notre aspiration est illimité, et, si nous y faisons appel comme il faut, il ne peut manquer de se déverser en nous et de faire disparaître toute incapacité et tout obstacle, tôt ou tard ; car, bien que le temps et la durée de nos luttes dépendent au début (comme un instrument et partiellement) de la force de notre foi et de notre effort, ils sont pourtant, en fin de compte, entre les mains de la sage détermination de l'Esprit secret qui seul est le Maître du yoga : l'Îshwara.

La foi en la Shakti divine doit être toujours l'appui secret de notre force, et quand Elle se manifeste, cette foi doit être sans réserve et devenir complète. Rien ne lui est impossible, car Elle est le Pouvoir conscient, la Divinité universelle qui crée toute chose de toute éternité : Elle est armée de l'omnipotence de l'Esprit. Toute connaissance, toute force, tous les triomphes et les victoires, toutes les habiletés et les oeuvres sont entre ses mains, et ses mains sont pleines des trésors de l'Esprit, emplies de toutes les perfections, toutes les siddhi. Elle est Mahéshwarî, la déesse de la connaissance suprême, et Elle nous apporte sa vision de toutes les sortes de vérité, les immensités de la vérité, la rectitude de sa volonté spirituelle, le calme et la passion de son ampleur supramentale, la félicité de son illumination ; Elle est Mahâkâlî, la déesse de la force suprême : avec Elle, se trouvent toutes les puissances, toutes les vigueurs spirituelles, les austérités des plus sévères tapas et la rapidité dans la bataille, la victoire et le rire (attahâsya) qui se fait un jeu de la défaite, de 1a mort et des pouvoirs de l'ignorance ; Elle est Mahâlakshmî, la déesse de l'amour et de la félicité suprêmes : ses dons sont la grâce de l'esprit, le charme et la beauté de l'Ananda, la protection et toutes les bénédictions divines et humaines ; Elle est Mahâsaraswatî, la déesse de l'habileté divine et des oeuvres de l'Esprit : avec Elle, est le yoga qui est l'habileté dans les oeuvres, yogah karmasou kaushalam, les utilités pratiques de la connaissance divine, l'application de l'esprit à la vie et le bonheur des harmonies spirituelles. Et en chacun de ses pouvoirs, chacune de ses formes, Elle recèle le sens suprême des maîtrises de l'Ishwarî éternelle, l'aptitude rapide et divine aux activités de toutes sortes que l'instrument peut être appelé à entreprendre, l'unité, la sympathie qui partage, la libre identité avec toutes les énergies dans tous les êtres et, par suite, l'harmonie spontanée, fructueuse, avec la volonté divine dans l'univers. Le sentiment intime de sa présence et de ses pouvoirs, l'heureux acquiescement de tout l'être à ses oeuvres en nous et autour de nous, telle est l'ultime perfection de la foi en la Shakti.

Mais, derrière Elle, se trouve l'Îshwara ; or, la foi en l'Îshwara est l'élément le plus central de la shraddhâ du yoga intégral. Nous devons avoir cette foi (une foi qu'il faut pousser à la perfection) que toutes choses sont l'oeuvre d'une connaissance et d'une sagesse suprêmes dans les conditions de l'univers, que rien de ce qui se fait en nous ou autour de nous n'est en vain et sans sa place assignée ou son sens juste, que tout est possible quand l'Îshwara, notre Moi et Esprit suprême, entreprend l'action, et que tout ce qui a été fait avant et tout ce qu'il fera dans l'avenir faisait partie et fera partie de sa direction prévoyante, infaillible, et visait à la fructification de notre yoga, de notre perfection et du travail de notre vie.

Plus la connaissance supérieure s'ouvrira, plus cette foi se trouvera justifiée ; nous commencerons à voir les grandes et petites significations qui avaient échappé à notre mentalité limitée : la foi se changera en connaissance. Alors, sans aucun doute possible, nous verrons que tout ce qui arrive fait partie de l'oeuvre de l'unique volonté, et que cette volonté était aussi une sagesse, car elle façonne sans cesse la marche exacte du moi et de la nature dans la vie. L'état suprême de l'acquiescement, la shraddhâ de l'être sera parfaite, quand nous sentirons la présence de l'Îshwara, percevrons que toute notre existence, toute notre conscience, notre pensée, notre volonté, notre action, sont entre ses mains et qu'en toutes choses nous consentirons avec toutes les parties de notre être et de notre nature à la volonté directe et immanente de l'Esprit qui nous habite. Cette perfection suprême de la shraddhâ sera aussi la porte d'entrée et le fondement parfait de l'énergie divine : quand la shraddhâ sera complète, elle sera la base de la croissance, de la manifestation et des oeuvres de la lumineuse Shakti supramentale.

Un extrait de La Synthèse des Yogas - Volume 3 : le Yoga de la Perfection de soi

En illustration : pastel à l'huile et encre sur papier, de Mudita

dimanche 19 juin 2011

Le subliminal et l'état de rêve

Notre état de veille ne se doute pas de ses rapports avec l’être subliminal, bien qu’il en reçoive - mais sans aucune idée de leur lieu d’origine - les inspirations, les idées, les suggestions volitives et sensorielles, les incitations à l’action qui s’élèvent du dessous ou de l’arrière de notre existence superficielle limitée. Le sommeil comme la transe nous ouvre les portes du subliminal.

Pendant notre sommeil, en effet, tout comme dans la transe, nous nous retirons derrière le voile de la personnalité de veille limitée et c’est derrière ce voile que le subliminal existe. Mais si cette expérience du sommeil qui s’enregistre dans nos rêves - nous la « traduisons » en termes de rêves - n’est pas la condition que l’on pourrait nommer de veille intérieure, elle reste cependant la forme la plus accessible à l’état de transe. Il ne s’agit pas encore des clartés supranormales de la vision et autres moyens de communication plus lumineux et plus concrets, élaborés par la cognition subliminale intérieure quand elle rentre en contact consciemment , à l’occasion ou plus régulièrement, avec notre moi de veille.

Le subliminal, avec le subconscient comme annexe - car le subconscient fait aussi partie de l’entité derrière le voile - est le voyant des choses intérieures et des expériences supraphysiques. Le subconscient de la surface n’est qu’un transcripteur. C’est pour cette raison que l’Oupanishad décrit l’être subliminal comme le Moi de Rêve parce que d’ordinaire dans les rêves, les visions, les profondes concentrations de l’expérience intérieure, c’est ainsi que nous entrons dans ses expériences et y participons.

De la même manière l’Oupanishad décrit le Supraconscient comme le Moi de Sommeil parce que, normalement, toutes les expériences mentales ou sensorielles s’arrêtent lorsque nous entrons dans cette supraconsience. Car de la transe plus profonde où le toucher du supraconscient plonge notre mentalité, nul témoignage ne peut normalement nous parvenir, ni aucune transcription de son contenu.

Ce n’est que par un développement spécial ou inhabituel, dans des conditions supranormales, ou par une rupture ou une faille dans notre personnalité limitée, que nous pouvons être, à la surface, conscients des contacts ou des messages de cette supraconscience.

Un extrait de La Vie Divine
En illustration : une photo de Mudita

samedi 18 juin 2011

Science physique et spritualité

La difficulté est que vous êtes un non-scientifique qui essaie d’imposer ses idées au domaine le plus difficile, parce que le plus matériel, de la science – la physique.

Si vous étiez vous-même un homme de science fondant ses idées sur des faits scientifiques universellement reconnus, ou encore sur ses propres découvertes – et même là avec beaucoup de difficulté – alors seulement vous pourriez trouver une audience, ou votre opinion pourrait avoir un certain poids.

Autrement, vous vous exposez au reproche de vous prononcer dans un domaine où vous n’avez aucune autorité, tout comme l’homme de science qui déclare, sur la foi de ses découvertes, que Dieu n’existe pas. Quand l’homme de science dit que « scientifiquement parlant, Dieu est une hypothèse qui n’est plus nécessaire », il profère une absurdité notoire – car l’existence de Dieu n’est pas, ne peut pas être, n’a jamais été une hypothèse ou un problème scientifique. C'est, et cela a toujours été un problème spirituel ou métaphysique. Vous ne pouvez pas en parler scientifiquement, ni pour ni contre. Le métaphysicien ou le chercheur spirituel a le droit de faire remarquer que c’est une absurdité ; mais si vous dictez la loi à l’homme de science dans son domaine, vous courez le risque de voir la même objection retournée contre vous.

Quant à l’unité de toute connaissance, elle est in posse, ou encore in esse. La méthode mécanique de connaissance mène à certains résultats, la méthode supérieure mène à d’autres, et en de nombreux points elles sont fondamentalement en désaccord. Comment le différend peut-il être résolu car chacune semble valable dans son propre domaine ? C’est un problème à résoudre, mais vous ne pouvez pas le résoudre de la manière que vous proposez. Surtout pas dans le domaine de la physique.

En psychologie, on peut dire que l’approche mécanique ou physiologique saisit le problème par son côté aveugle et est la moins fructueuse de toutes – car la psychologie n’est pas principalement un domaine de mécanisme et de mesure, elle débouche sur de vastes espaces au-delà des instrumentations de la conscience physique. En biologie on peut saisir une lueur de quelque chose au-delà du mécanisme, car il y a là, dès le début, un tressaillement de conscience progressant et s’organisant de plus en plus pour s’exprimer. Mais en physique, vous êtes dans le domaine même de la loi mécanique où le processus est tout et où la conscience motrice a choisi de se dissimuler le plus totalement. Si bien que là, « scientifiquement parlant », elle n’existe pas. On ne peut l’y découvrir que par l’occultisme et le yoga, mais les méthodes de la science occulte et du yoga ne sont pas mesurables par les moyens de la science physique et ne peuvent pas être suivies par elle, alors l’abîme demeure. Un pont l’enjambera peut-être un jour, mais ce n’est probablement pas le physicien qui le construira, il est donc inutile de lui demander de tenter ce qui est au-delà de son domaine.

Extrait de Lettres sur le Yoga, Tome 1

mardi 31 mai 2011

La Mère des Rêves

Déesse suprême, Mère du Rêve, quand tu te tiens à tes portes d'ivoire, quels sont donc ceux qui en bas vont vers les hommes dans tes visions qui s'attroupent, groupe sur groupe, en descendant la pente de la voie des ombres ? Rêve après rêve, ils s'illuminent en éclair ayant encore autour d'eux la flamme des étoiles ; des fantômes à ton côté flottent dans une obscurité où dansent les feux follets, scintillent et clignent les étoiles et le météore errant étincelle ; il y a des voix qui crient à leurs proches quei répliquent ;voix douces, au coeur elles frappent et ravissent l'âme à l'écoute.

Que sont alors ces contrées et ces plages dorées et ces mers plus radieuses que ne peut imaginer la terre ? Quels sont ceux qui cheminent au long des vagues pourpres courant vers la grève bordée de falaises de ton rivage de jaspe sous des cieux où couve le mystère, drapés dans un clair de lune qui n'est point de notre nuit ou baignés dans un soleil qui n'est point du jour ? Et ceux-là qui arrivent roulant tes océans avec des voiles aux cordages non-faits de main d'homme et que pousse un vent non-terrestre ? Pourquoi s'unissent-ils dans une ligne mystique avec ceux des plages joignant les mains en d'étranges danses majestueuses ?

Toi, en haut des airs, une flamme à la chevelure, observant le tournoiement de tes merveilles, tu maintiens la nuit sous ta loi antique, Mère divine, hyacinthine, par une ceinture de beauté défendue. Munie d'une épée de feu, attirant le désir, tu gardes ton sombre royaume,
dans une douceur stellaire, avec la lune à tes pieds, tantôt cachée tantôt vue entre les nuages parmi la ténèbre et la traînée de tes tresses. A ceux-là seuls qu'élut ta fantaisie, Ô toi au coeur libre, il est donné de voir ta magie et de sentir tes caresses.

Ouvre la grille où tes enfants attendent dans leur monde d'une beauté inobscurcie. Haut-trônant sur un nuage, victorieux et fier, j'ai aperçu Maghavan à cheval quand il est suivi des armées du vent ; j'ai reçu du ciel mets à déguster et fruits de saveur immortelle ; j'ai bu le vin des royaumes divins et ouï le change de la musique étrange d'une lyre que nos mains ne peuvent maîtriser ; les portes se sont grand-ouvertes sur les salles de fête où résident les Dieux et les Apsaras dansent en leurs rondes de plus en plus rapides.

Car tu es celle que nous pouvons voir la première quand nous dépassons les bornes du mortel ; là aux portails des états du ciel tu as planté ta baguette enchantée oscillant au-dessus de la tête du Yogi. De toi viennent le rêve et les fantômes qui paraissent et les lumières fugitives qui nous abusent ; à toi est l'ombre où les visions se forment ; par tes mains précipitées des célestes contrées arrivent les âmes qui se réjouissent à jamais. Dans tes mondes-du-rêve nous passons ou regardons en ton miroir magique, puis au-delà de toi gravissons hors de l'Espace et du Temps vers le pic de la divine tentative.

1908-1909 (dans la prison d'Alipour)

En illustration : une photo de Mudita, Le Clos Lucé, 2006.

jeudi 17 mars 2011

Le pouvoir de la vision (article en plusieurs parties) - partie 1


Toutes les visions ont une signification d’un genre ou d’un autre. Ce pouvoir de vision est très important pour le yoga et ne doit pas être rejeté, bien qu’il ne soit pas d’importance primordiale : le plus important étant la transformation de la conscience. Tous les autres pouvoirs, tel ce pouvoir de vision, doivent être cultivés sans attachement, comme des parties du yoga et des aides sur le chemin.

Les visions ne viennent pas du plan spirituel, elles viennent des plans du physique subtil, du vital, du mental, du psychique ou des plans supérieurs au Mental. Ce qui vient du plan spirituel, ce sont les expériences du Divin, par exemple, l’expérience du Soi partout, du Divin en tous, etc.

C’est très bien d’avoir des visions et des expériences (surtout des expériences), mais on ne peut pas s’attendre à ce que chaque vision se traduise en un fait physique correspondant. Pour certaines visions, il en est ainsi, mais pas dans la majorité des cas. D’autres appartiennent tout entières au domaine supraphysique et sont l’indications de réalités, de possibilités ou de tendances qui y ont leur siège. Dans quelles mesure elles influenceront la vie, s’y réaliseront ou même auront un effet quelconque, dépend de la nature de la vision, du pouvoir qu’elle contient, parfois de la volonté ou du pouvoir formateur du voyant.

Les gens attachent du prix aux visions pour la raison suivante : elles sont l’une des clés (et non la seule) qui mettent le sâdhak (le chercheur) en rapport avec les autres mondes ou les mondes intérieurs et avec ce qu’ils contiennent, et ces régions sont d’une richesse immense, infiniment plus grande que le plan physique tel qu’il est à présent. On pénètre dans un moi plus vaste et plus libre, dans un monde plus vaste et plus souple ; les visions isolées ne font évidemment que permettre un contact et non ouvrir véritablement l’accès à ces mondes, mais le pouvoir de vision, accompagné du pouvoir d’autres sens subtils (ouie, toucher, etc.), à mesure qu’il s’élargit, permet d’y pénétrer. Ces facultés n’ont pas le même effet qu’une simple imagination (comme celle du poète ou de l’artiste, bien que celle-ci puisse avoir une certaine force), et si on les cultive à fond, elles apportent un développement continu de l’être, de la conscience, de sa richesse d’expériences et de son étendue.

Les gens accordent aussi de la valeur au pouvoir de vision pour une raison plus élevée : il peut apporter un premier contact avec le Divin dans ses formes et ses pouvoirs ; il peut ouvrir à une communion avec le Divin, à l’audition de la Voix qui guide, à la Présence autant qu’à l’image dans le cœur, à bien d’autres choses qui apportent à l’homme ce qu’il cherche à atteindre par la religion ou le yoga.

De plus, la vision est précieuse parce qu’elle est souvent une première clé d’accès aux plans intérieurs de son propre être et de sa conscience, par opposition aux mondes ou aux plans de la conscience cosmique. L’expérience yoguique commence souvent par une ouverture du «troisième œil» dans le front (centre de la vision entre les sourcils) ou par une sorte de déclenchement et d’extension de la vision subtile, qui peut sembler sans importance au début, mais annonce une expérience plus profonde. Même quand elle n’a pas ce caractère - car on peut accéder directement à l’expérience - elle peut apparaître plus tard comme une aide puissante à l’expérience ; elle peut être pleine d’indications qui mènent à la Connaissance de Soi, à la connaissance des choses ou à la connaissance des personnes : elle peut être vérifiée et mener à la prévision, à la prémonition et à d’autres ouvertures dont l’importance est moindre, mais qui sont très utiles à un yogi.

Bref, la vision est un instrument important, bien qu’elle ne soit pas absolument indispensable. Cependant comme je l’ai laissé entendre, il y a vision et vision, tout comme il y a rêve et rêve ! Il faut cultiver le discernement et le sens des valeurs et des choses, et savoir comprendre et utiliser ces pouvoirs.

Extrait de Lettres sur le Yoga, Tome 4

En illustration : Les Yeux Clos, huile sur toile marouflé sur carton, d'Odilon Redon, 1890 ; actuellement au Musée d'Orsay, Paris

mardi 15 mars 2011

Le pouvoir de la vision (article en plusieurs parties) - partie 2


Vision et hallucination ne sont pas la même chose. La vision intérieure est une porte qui s’ouvre sur les plans supérieurs de conscience au-delà du mental physique et qui permet à une vérité et à une expérience plus vastes de pénétrer dans le mental et d’agir sur lui. Cette porte n’est ni la seule, ni la plus importante, mais c’est une porte qui s’ouvre très aisément à un grand nombre de sâdhak, sinon à la plupart d’entre eux, et qui peut être une aide très puissante. Cette faculté apparaît moins facilement chez les intellectuels que chez ceux qui ont un vital puissant ou un caractère émotif ou imaginatif.

Il est vrai que le domaine de la vision, comme tout autre domaine d’activité du mental humain, est un monde mélangé, et qu’il ne contient pas seulement de la vérité, mais aussi beaucoup de demi-vérités et d’erreurs. Il est vrai aussi que pour ceux qui sont impétueux et irréfléchis, entrer dans ce monde peut susciter de la confusion, des inspirations trompeuses et des voies fausses, et qu’il est plus sûr d’être guidé par ceux qui savent et qui ont l’expérience spirituelle et psychique. On doit considérer ce domaine avec calme et discernement ; mais fermer les portes et rejeter ces expériences supraphysiques ou d’autres, c’est se limiter et arrêter le développement intérieur.

Tout ce qui se développe dans la sâdhanâ, pourvu que ce soit authentique, a sa place dans la totalité de l’expérience et de la connaissance. Une connaissance des mondes occultes, des forces et des phénomènes occultes a aussi sa place. Les visions et les voix ne sont qu’une petite partie de ce vaste domaine qu’est l’expérience occulte. Quant à leur utilité, pour celui qui a l’intelligence et la discrimination, les visions ont de multiples usages ; elles en ont très peu pour ceux qui n’ont pas de discrimination ou qui ne comprennent pas.

Si l’on cultive la faculté occulte, l’expérience et la connaissance occultes, elles peuvent être très utiles, et par conséquent pratiques. En tant que telles, elles font partie de l’ouverture de la conscience intérieure et aident aussi à l’ouvrir davantage, bien qu’à cette fin elles ne soient pas indispensables.

Les visions viennent de tous les plans, il y en a de toutes sortes et elles n’ont pas toutes la même valeur. Certaines ont une grande valeur et beaucoup d’importance ; d’autres sont un jeu du mental ou du vital et ne servent que leurs propres fins particulières ; d’autres encore sont des formations du plan mental et du plan vital, dont certaines peuvent contenir une vérité, alors que d’autres sont fausses et trompeuses, ou bien peuvent être une sorte d’esthétisme de ce plan. Elles peuvent avoir une importance considérable dans le développement de la première conscience yoguique, celle du mental intérieur, du vital intérieur, du physique intérieur, ou pour ouvrir à la compréhension occulte de l’univers.

Les visions authentiques peuvent aider au progrès spirituel ; j’entends par là celles qui nous montrent des réalités intérieures : on peut, par exemple, rencontrer Krishna, s’entretenir avec lui et entendre sa voix dans une vision intérieure « réelle », tout aussi réelle que n’importe quel événement du plan extérieur. En voir seulement son image n’est pas la même chose que le rencontrer en personne. Mais le portrait au mur n’est pas forcement sans utilité pour la vie spirituelle.

Tout ce que l’on peut dire, c’est que l’on ne doit pas trop s’attacher à ce don et à ce qu’il nous montre, mais il n’est pas non plus nécessaire de le dénigrer. Il a sa valeur, et son utilité spirituelle peut parfois se révéler considérable. Mais naturellement, ce n’est pas primordial, ce qui l’est c’est la réalisation, le contact, l’union avec le Divin, la bhakti, la transformation de la nature, etc.

Extrait de Lettres sur le Yoga, Tome 4

En illustration : l'escalier du Château de Maulnes, dans l'Yonne, photo de Mudita.

dimanche 13 mars 2011

Le pouvoir de la vision (article en plusieurs parties) - partie 3


Les lumières et les visions ne sont pas des hallucinations. Elles sont le signe d’une ouverture de la vision intérieure dont le centre est dans le front, entre les sourcils. Les lumières sont très souvent la première chose que l’on voit. Les lumières révèlent l’action ou le mouvement de forces subtiles qui appartiennent aux différents plans de l’être ; la couleur et la nuance de la lumière varient selon la nature de la force.

Le soleil est le symbole et le pouvoir de la Vérité intérieure ou supérieure ; le voir en méditation est un bon signe. La mer aussi est souvent symbolique, elle représente d’ordinaire la nature vitale, parfois l’étendue de la conscience en mouvement. Quand vous voyez un carré, c'est le symbole d'une création complète ; quand vous voyez un buffle se ruer vers vous sans vous atteindre et que vous avez l'impression d'avoir échappé à un grave danger, c'est une transcription. Quelque chose de réel s'est produit, que le mental a traduit par la charge sans effet du buffle; c'est une attaque d'une force hostile représentée par le buffle.

On doit laisser se développer l’ouverture de la vision, mais il n’est pas nécessaire d’accorder trop d’importance aux visions isolées, à moins qu’elles ne soient ou ne deviennent visiblement symboliques ou chargées de sens, ou encore qu’elles ne clarifient certains points dans la sâdhanâ.

Les visions subjectives peuvent être aussi réelles que la vue objective. La seule différence et que la seconde concerne des objets réels dans l’espace matériel, alors que les premières montrent des objets réels qui appartiennent à d’autres plans s’étendant vers le bas jusqu’au physique subtil. Même des visions symboliques sont réelles, dans la mesure où elles symbolisent des réalités. Les rêves eux-mêmes peuvent avoir une réalité dans le domaine subtil. Les visions ne sont irréelles que lorsqu’elles ne représentent rien de vrai dans le présent, le passé ou l’avenir.

Ce pouvoir de vision est parfois inné et habituel, même sans effort de développement. Il s’éveille parfois de lui-même et devient florissant, ou ne nécessite qu’un peu de pratique pour se développer ; il n’est pas forcement le signe d’une réalisation spirituelle, mais en général lorsque l’on commence, par la pratique du yoga, à aller au-dedans et à y vivre, le pouvoir de la vision subtile s’éveille plus ou moins. Mais cela ne se produit pas toujours facilement, surtout si on a été accoutumé à vivre plutôt dans l’intellect ou dans une conscience vitale extérieure.

Tout ce que l'on peut voir les yeux fermés, on peut aussi le voir les yeux ouverts. Il suffit que la vision intérieure s'étende à la conscience physique subtile pour que cela se produise.

Extrait de Lettres sur le Yoga, Tome 4